Auteur : Simon Wardley — version originale

Adaptation et commentaires : Mathieu Jolly


Voici l'histoire de mon voyage, d'un PDG empoté et confus, perdu dans les feux du changement, à celui qui avait une vague idée de ce qu'il faisait. Je dis vague, car je ne vais pas faire de grandes revendications sur les techniques et modèles dont je discute dans ce livre. Il me suffit de dire que je les ai trouvées utiles au cours de la dernière décennie, que ce soit pour trouver des opportunités, éliminer les pertes, aider à organiser une équipe de personnes ou déterminer la stratégie d'une entreprise. Est-ce qu'elles vous aideront ? Tout dépend du contexte dans lequel vous opérez, mais comme les méthodes ne prennent pas beaucoup de temps à apprendre, je vous laisserai le soin de découvrir si elles vous sont utiles ou non. N'oubliez pas, tous les modèles sont faux, mais certains sont utiles.

Dans la première partie de ce livre, je vais parler de mon voyage afin d'introduire la méthode que j’ai conçue au gré de mes expériences. Dans les parties suivantes, nous changeront de vitesse et passeront à un examen plus formel de la pratique. Une chose à laquelle je suis attentif est que nous apprenons rarement des expériences passées, surtout quand elle appartient à d'autres personnes ou quand elle entre en conflit avec notre perception des choses. Cependant, si vous êtes comme je l'étais autrefois, perdu en mer, alors seulement là cela pourrait vous aider à trouver votre chemin. Pour ma part, ce voyage a commencé il y a deux décennies dans l'ascenseur de l'hôtel Arts de Barcelone ; quand un cadre supérieur m'a remis un court document et a demandé : “Cette stratégie a-t-elle du sens ?”

Pour être honnête, je n'avais aucune idée si c'était le cas ou pas. Je n'avais aucune idée de ce qu'était une vraie stratégie, encore moins de comment évaluer le document. J'ai parcouru les pages, tout semblait avoir du sens, les diagrammes semblaient bons et je ne savais pas ce que je cherchais de toute façon. Alors, j'ai répondu "ça me semble bien". Cependant, la raison pour laquelle j'ai choisi ces mots était plus liée à la stratégie qui me semblait familière qu'autre chose. J'avais vu les mêmes mots utilisés dans d'autres documents, certains des mêmes diagrammes dans d'autres présentations. J'avais aussi assisté à une conférence où le leader d’influence de l'industrie m'avait parlé des choses qui comptaient. Ces choses — “innovation”, “efficacité”, “alignement” et “culture” — avaient toutes été mises en évidence dans le document de stratégie.

C'était le confort de mots et d'images familiers qui m'avaient donné la confiance de proclamer que c'était bien. Ma logique personnelle était une sorte de mentalité de troupeau de moutons, une “causalité inverse” qui, puisque c'était juste là, devait être juste ici. J'étais aussi jeune et je m'étais convaincu que le cadre supérieur devait connaître la réponse et qu'il ne me demandait que de tester mes compétences. Puis, je refusais de révéler ma faible expérience. Ce moment m'a irrité au fil des ans. En effet, je savais que j'avais été faux et que je ne faisais qu’assurer mes arrières, me cachant de ma propre incompétence.

Une décennie plus tard, j'étais monté en grade pour devenir le PDG d'une autre entreprise. J'étais ce cadre supérieur le plus expérimenté. L'entreprise vivrait ou mourrait des choix stratégiques que je faisais, du moins c'est ce que je pensais. J'ai écrit la stratégie, ou du moins des variations m'ont été présentées et j'ai décidé. Mais quelque chose s'était terriblement mal passé dans mon voyage. En quelque sorte, en chemin pour devenir PDG, j'avais manqué les leçons indispensables qui me disaient comment évaluer une stratégie. Je n'avais toujours pas les moyens de comprendre ce qu'était une bonne stratégie et il ne me suffisait plus de penser que “ça me semble bien”. J'avais besoin de plus que ça, car j'étais le cadre supérieur expérimenté que les moins expérimentés prenaient comme guide.

J'ai demandé à l'un de mes subordonnés ce qu'il pensait de notre stratégie. Il a répondu "ça me semble bien". Mon cœur lâcha. Contrairement à ce cadre supérieur confiant dans l'ascenseur de l'hôtel Arts qui testait un junior, je n'avais toujours pas la moindre idée. J'étais un PDG imposteur ! J'avais besoin d'apprendre rapidement avant que quelqu'un le découvre. Mais comment ?

En 2004, je me suis assis dans notre salle réunion avec nos documents de stratégie et j'ai commencé à les disséquer. Il y avait beaucoup de termes familiers et confortables. Nous devions être innovants, efficaces, centrés sur le client, web 2.0 et tout ce que cela impliquait. Hélas, je soupçonnais que ces "mèmes" courants étaient répétés dans les documents de stratégie d'autres entreprises parce que j'étais assez sûr de les avoir copiés. J'avais entendu les spécialistes lors de diverses conférences et lu des rapports d'analystes qui proclamaient ces mêmes lignes à maintes reprises comme une nouvelle vérité. Eh bien, au moins nous suivions le troupeau, pensais-je. Cependant, quelqu'un devait avoir commencé ces mèmes et comment savaient-ils si ces mèmes étaient corrects ? Comment suis-je devenu pareil que ce cadre supérieur confiant dont je me souviens ?

Frustré par ma propre incapacité naturelle, j'ai commencé à fouiller dans des livres sur la stratégie. Je cherchais un moyen de comprendre, un cadre de travail ou un point de référence à comparer. Plus brutalement, j'étais perdu au milieu de l’océan et je cherchais quelque chose à saisir, un canot de sauvetage pour PDG. Je n'ai rien trouvé qui m'ait donné du réconfort et après avoir parlé avec mes pairs, je suis devenu convaincu que notre stratégie était presque identique à celle des concurrents de notre industrie. Je commençais à avoir l'impression que l'ensemble du domaine de la stratégie était soit une plaisanterie cosmique jouée par des consultants en management, soit que tout le monde cachait un livre secret. Je devenais un peu désespéré, voire découragé. Quelqu'un allait découvrir que je faisais semblant.

J'ai commencé à utiliser des matrices 2x2, des SWOT, des forces de Porter et toutes sortes d'instruments. Tout me semblait insuffisant, rien n'était satisfaisant. Je savais que l'entreprise était performante pour le monde extérieur, mais de l'intérieur, nous avions des problèmes de communication et de frustration quant à la direction et à l'organisation. Pour améliorer les choses, j'avais organisé l'un de ces stages de management qui rassemblent toute l'équipe. J'avais été séduit par une idée simple selon laquelle avec une meilleure communication, une stratégie deviendrait claire, comme par magie. Nous avions juste besoin de parler plus.

J'ai rapidement découvert qu'au-delà de la haute direction, personne ne comprenait vraiment notre stratégie malgré toutes nos discussions, nos réunions quotidiennes et notre assemblée hebdomadaire. Je doutais également que la haute direction la comprenne. J'étais certainement incertain à ce sujet. Je me suis tourné vers l'intérieur, le problème, c'était moi ! Le jour du jugement dernier allait arriver quand tout le monde s'apercevrait que derrière le succès, les bénéfices, les déclarations audacieuses et l'extérieur confiant se cachait une masse de doutes. Ils allaient découvrir que je faisais semblant. Je ne devrais pas être le PDG. À ce moment-là, à la mi-2004, j'étais submergé par l'incertitude et facilement influençable par n'importe quel consultant ou consultante vendant de la poudre de perlimpinpin. Je l'aurais volontiers acheté. Une caisse entière de ce truc.

Sérendipité

Par hasard, j'avais pris une copie de "L'art de la guerre" de Sun Tzu. À vrai dire, j'ai pris plusieurs traductions différentes, car le libraire m'avait dit qu'aucune d'entre elles n'était tout à fait la même. C'était un heureux hasard et je dois remercier ce libraire. En effet, c'est en lisant la seconde traduction que j'ai remarqué quelque chose qui m'avait échappé dans ma compréhension de la stratégie. Sun Tzu avait décrit cinq facteurs qui comptent dans la compétition entre deux adversaires. Succinctement il s'agit de : — l’objectif, du paysage, du climat, de la doctrine et du leadership. Je les ai dessinés sous forme de cercle dans la figure 1.

Figure 1 - Les cinq facteurs

Figure 1 - Les cinq facteurs

Quand j'ai regardé mon document de stratégie, j'ai pu voir un objectif, puis un énorme saut dans le leadership et les choix stratégiques que nous avions faits. Mais, où était le paysage, le climat et la doctrine ? J'ai commencé à réfléchir à chaque livre d'affaires que j'avais lu. Tout semblait faire ce saut de l’objectif au leadership.

À titre de rappel, les cinq facteurs de Sun Tzu sont les suivants : :

L’Objectif est votre impératif moral, c'est la portée de ce que vous faites et pourquoi vous le faites. C'est la raison pour laquelle les autres vous suivent.

Le Paysage est une description de l'environnement dans lequel vous combattez. Cela inclut la position des troupes, les caractéristiques du paysage et les obstacles sur votre chemin.