Explications de ‣
La combinaison de l'inertie, d'un équilibre ponctué, de la reine rouge et de la coévolution des pratiques signifie que lorsque nous franchissons une frontière, par exemple du produit à l'utilité, nous avons tendance à assister à une destruction rapide du passé (des modèles d'entreprise aux pratiques) en même temps qu'à la création du nouveau (industrie et pratiques). Ce phénomène a été décrit par Joseph Schumpeter sous le nom de Creative destruction (Destruction créatrice).
Si je reprends la figure 143 ci-dessus et que j'y superpose ce flux de capitaux ainsi que le cycle paix, guerre et émerveillement, nous pouvons avoir une idée de ce qui se passe. En même temps qu'un acte est fourni de manière plus efficace par des formes industrialisées et que sa demande augmente en raison d'une longue traînée de besoins non satisfaits et de la création d'une nouvelle industrie, le capital financier s'écoule des anciens vendeurs de produits vers les nouveaux vendeurs et les nouvelles entreprises qui desservent ces nouveaux marchés. Si l'on ajoute à cela la coévolution de nouvelles pratiques causée par l'évolution de l'acte, les nouvelles formes d'organisation qui apparaissent, la vitesse du changement causée par un équilibre ponctué, l'inévitabilité du changement (c'est-à-dire la Reine rouge) et l'inaction des géants du passé causée par l'inertie, on obtient la destruction du passé en même temps que la création de l'avenir. La combinaison de la concurrence avec des schémas climatiques de base tels que l'inertie et la coévolution crée cette pulsation constante de nouveaux besoins des consommateurs, de nouveaux vendeurs, de nouvelles méthodes de production, de nouveaux marchés et de nouvelles formes d'organisation. Ce rythme cardiaque a été décrit par Joseph Schumpeter comme la “destruction créatrice” (voir figure 145) et lorsqu'il devient évident, il est généralement trop tard pour réagir.

Figure 145 — Destruction créatrice
Philippe Aghion est un économiste français, professeur au Collège de France et à l'INSEAD. Il est reconnu pour ses travaux sur la croissance endogène et l'innovation, notamment sa théorie de la croissance par la destruction créatrice schumpétérienne.
Ses travaux académiques (A MODEL OF GROWTH THROUGH CREATIVE DESTRUCTION avec Peter Howitt, MIT Press, 1990) posent les fondements théoriques de sa vision de la croissance par l'innovation via la destruction créatrice.
Aghion a été coauteur du programme économique d'Emmanuel Macron en 2017, axé sur la politique de l'offre pour favoriser l'innovation et produire de la croissance. Cette approche a été mise en œuvre depuis lors, bien que ses résultats fassent l'objet de débats, notamment concernant l'injustice fiscale et l'efficacité des aides publiques aux entreprises.
La légitimité de cette théorie est toutefois à mettre en perspective avec du bilan réel de la politique de l’offre. La croissance par l’innovation, incarnée par la politique de l’offre, est fortement critiquée :
- Les subventions sans contrepartie ne finissent pas dans l’innovation
- Baisser le coût du travail ne permet pas l’innovation
- La majorité des subventions de la politique de l’offre sont captées par les grosses entreprises alors que la croissance par la destruction créatrice schumpétérienne, cadre idéologique à l’origine de la politique de l’offre, vise explicitement l’innovation par les nouveaux entrants et la défiance des acteurs historiques.
Le résumé de la vidéo de l’émission argent magique du média stupid economics, analyse les limites de la politique de l’offre :
Summary
Le chiffre de 211 milliards d'euros
- Une commission d'enquête du Sénat a publié en juillet un rapport révélant que les aides publiques aux entreprises s'élèvent à 211 milliards d'euros pour 2023
- Ce montant représente 2252 dispositifs d'aide différents identifiés par la commission
- Ces aides ne figurent pas dans une ligne budgétaire spécifique car la catégorie "aides aux entreprises" n'existe pas officiellement dans la comptabilité publique
- Les 211 milliards sont répartis dans différents postes budgétaires selon leur finalité (protection de l'environnement, transport, etc.)
Composition des aides
- 7 milliards de subventions directes aux entreprises
- 88 milliards de dépenses fiscales (crédits d'impôt, taux d'imposition réduits)
- 75 milliards d'allégements de cotisations sociales
- 41 milliards d'interventions financières de BPI France (prêts)
- La majorité des aides ne sont pas des dépenses directes mais des manques de recettes (niches fiscales)
Différence avec les chiffres européens
- La Commission Européenne (DG Concurrence) recense seulement 31 milliards d'euros d'aides pour la France en 2023
- Cette différence s'explique par des définitions différentes : la DG Concurrence ne compte que les aides qui perturbent la concurrence
- Les aides "transversales" comme le Crédit d'Impôt Recherche (7 milliards/an) ou le CICE (20-30 milliards/an) ne sont pas comptabilisées par l'UE
- Tous les pays européens aident leurs entreprises : l'Allemagne arrive en tête avec 35 milliards selon la DG Concurrence
Débat sur la méthodologie
- Certains journalistes économiques critiquent le chiffre de 211 milliards en le qualifiant de "bidon" et de mélange de "choux, carottes et oignons"
- Exemple débattu : la TVA réduite dans la restauration (depuis 2009) a surtout bénéficié aux marges des restaurateurs plutôt qu'aux consommateurs
- Le Sénat propose une définition plus restreinte à 108 milliards (en excluant TVA réduite et prêts BPI France)
- Malgré les différences d'opinion, le chiffre de 211 milliards fait consensus au sein de la commission (président LR et rapporteur communiste)
L'argument du coût du travail
- Les chefs d'entreprise auditionnés justifient les aides par le coût du travail trop élevé en France
- Le CICE (devenu permanent en 2019) visait à réduire les cotisations sur les bas salaires pour trois objectifs :
- Effet de trésorerie (éviter les licenciements)
- Baisse du coût du travail → baisse des prix → hausse des ventes → plus d'emplois
- Plus de marges → innovation → compétitivité → nouveaux emplois
- En réalité, deux canaux ont été oubliés : l'épargne d'entreprise et surtout les dividendes aux actionnaires
- Les entreprises du CAC 40 battent des records de versements de dividendes quasi tous les ans depuis 2014
Critique théorique du modèle
- Selon l'unité de recherche de l'université de Lille, la logique des aides repose sur une mauvaise compréhension de la théorie économique
- Les entreprises ne cherchent pas la croissance économique mais la maximisation des profits par réduction des coûts
- Baisser le coût du travail désincitatif l'innovation : si le travail est moins cher, les entreprises ont moins besoin d'automatiser
- Pour encourager l'innovation, il faudrait au contraire maintenir un coût du travail élevé et aider le financement de la R&D à long terme
Concurrence internationale et protectionnisme
- Face à la concurrence de pays aux normes moins strictes (Brésil, Chine, etc.), deux options se présentent :
- Abolir les normes sanitaires et sociales françaises (option rejetée)
- Créer des aides massives pour compenser le coût des normes (option actuelle)
- L'économiste Ha-Joon Chang rappelle que les grandes puissances industrielles (Royaume-Uni, États-Unis, Corée du Sud, Japon) se sont développées grâce au protectionnisme
- Ces pays n'ont ouvert leurs marchés qu'une fois leurs entreprises nationales ultra-solides
- Le libre-échange actuel est une position historiquement extrême, imposée par les vainqueurs économiques au moment où cela les arrangeait
Exemples sectoriels
- Agriculture : La France était 2ème exportateur mondial jusqu'aux années 2000, maintenant 9ème (2019). L'avantage technologique a disparu face à des pays qui peuvent acheter les mêmes machines mais avec des coûts sociaux/environnementaux moindres
- Batteries électriques : Impossible de lancer une industrie sans protection face à la Chine. Les aides actuelles risquent de financer des entreprises qui feront ensuite de l'optimisation fiscale
- Textile : Le secteur du prêt-à-porter en difficulté face aux géants internationaux vendant des vêtements à 3 euros produits dans des conditions d'exploitation
Recommandations du Sénat
- Créer un suivi régulier et systématique des dispositifs d'aide publique aux entreprises
- Demander à l'INSEE de mettre à jour le chiffre des 211 milliards chaque année
- Évaluer l'impact attendu des aides avant leur mise en place, puis comparer avec l'impact réel
- Tenir les entreprises responsables de l'usage des aides reçues (dividendes, délocalisations)
- Distinguer clairement entre aides structurelles et aides conjoncturelles
Problème de fond identifié
- Une des grandes découvertes de la commission : il n'y a ni suivi ni évaluation systématique des dispositifs d'aide
- Dans la plupart des cas, on ne sait pas dire si les aides sont efficaces ou efficientes
- Les aides aux entreprises ne sont pas le bon outil pour compenser l'absence de politique industrielle et commerciale
Notes
Transcript
Références