Mathieu Jolly — licence d'utilisation conditionnée à l’usage
Spécialiste des cartes de Wardley — traducteur du livre Wardley Maps
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Dans le cadre de la recherche de ma proposition de valeur, j’explore des segments de marché. Les personnes dirigeantes en font partie. Cette enquête vise à obtenir une meilleure connaissance des personnes dirigeantes en entreprise. Les personnes qui ont répondu à cette enquête sont des chef·fe·s d’entreprise, des membres du comité de direction et des managers de transition. Dans cette synthèse, gardez à l’esprit que les résultats donnent l’opinion des personnes dirigeantes sur elles-mêmes.
La campagne de diffusion a été massive et appuyée par plusieurs outils comme Walaaxy et Apollo. Elle a duré deux mois. 310 réponses ont été récupérées dont 286 sont des réponses de personnes dirigeantes exerçant en France. Les données démographiques de l’échantillon (âge, niveau d’étude, genre, taille d’entreprise) ont été confrontées à d’autres sources de données. L’échantillon est représentatif de la population cible.
Les personnes dirigeantes d’entreprise sont majoritairement des hommes (85 %). 15% sont des femmes. L’inversement de cette culture d’inégalité est en cours avec l’introduction de quotas par la loi du 24 décembre 2021. D’ici à 2030, les entreprises de plus de mille salarié**·e·**s doivent promouvoir 40% de femmes à des postes de direction.
Femme ou homme, la moyenne d’âge des personnes dirigeantes en poste est de 46 ans. La moyenne d’âge des managers de transition est plus élevée, 56 ans. La moyenne d’âge est logiquement plus élevée pour cette spécialisation, car 83% des managers de transition sont d’anciennes personnes dirigeantes. La moyenne d’âge général de 48 ans est tirée vers le haut par les managers de transition.
Le panel des réponses s’étale pour toutes les tailles de structure.
TPE | PME | ETI+ |
---|---|---|
30 % des réponses | 45 % | 24 % |
Les personnes dirigeantes sont majoritairement très instruites. 80% d’entre elles ont un niveau master. La majorité d’entre elles (54%) viennent d’une formation technique, tandis que 21% viennent d’une formation de gestionnaire. Au cours de leur carrière, les personnes dirigeantes, majoritairement techniciennes, suivent principalement une formation complémentaire dans la gestion et l’administration d’entreprise. Le MBA (Master of Business Administration) est le label phare de ces formations. Parmi les personnes qui précisent les formations complémentaires suivies, seules 2% des formations relèvent du développement durable.
Pourtant, les personnes dirigeantes suivent des formations complémentaires. 15% des personnes dirigeantes (soit 26% des personnes ayant précisé une formation complémentaire) suivent trois formations, voire plus. Communément, 39% suivent une à deux formations complémentaires.
Ces formations donnent les compétences nécessaires à l’accomplissement de tous les rôles de la personne dirigeante. La matrice à droite fait ressortir quelques clivages concernant la difficulté d’acquisition de certaines compétences. Ainsi, retenez que les compétences indispensables, les moins difficiles à acquérir, sont :
Alors que les compétences indispensables les plus difficiles à acquérir relèvent :
D’autre part, les compétences de prise de décision, la résolution de problème, de pensée critique et analytique ressortent comme les compétences les plus indispensables, mais comme une compétence plutôt facile à acquérir.
Matrice du caractère indispensable et difficile d’acquisition des compétences de toute personne dirigeante. L’axe des abscisses représente la fréquence de sélection des compétences, des moins fréquemment sélectionnées à gauche aux plus fréquemment sélectionnées à droite. L’axe des ordonnées représente l’importance des compétences, des moins importantes en bas aux plus importantes en haut.
Mises en perspective du caractère senior des personnes dirigeantes, ces compétences ne doivent pas uniquement s’acquérir au cours de formations complémentaires, mais au cours de l’expérience acquise au travers des différents rôles assumés.
Les compétences précédemment citées sont directement corrélées à la vision qu’ont les personnes dirigeantes de leur rôle. La matrice à droite montre qu’une personne dirigeante est avant tout leader (80%) et visionnaire (62%).
Les rôles de missionnaire (4%) et financier (11%) ne sont absolument pas fréquemment cités comme rôle de la personne dirigeante. Le rôle de missionnaire est tout de même considéré comme plus important que le rôle de financier quand il est cité.
Les rôles d’experte du marché et de garante de l’avenir sont les rôles montants chez la personne dirigeante. Ils viennent compléter le trio leader, visionnaire et stratège.
Les rôles peuvent varier en fonction du genre de la personne dirigeante. Les dirigeantes sous-représentées dans les grandes entreprises auront plutôt un profil de gestionnaire. C’est le cas aussi de personnes dirigeantes de TPE (Très Petites Entreprises). Dans les PME (Petites et Moyennes Entreprises), ce rôle est délaissé au profit du rôle de représentation de l’entreprise. Dans les ETI (Entreprises de Taille Intermédiaire) et les grandes entreprises, la personne dirigeante récupère des compétences de financier et de garant de l’avenir. En matière de critère d’importance, il est remarquable de voir que malgré un fort plébiscite, les rôles de gestionnaire et de représentant de l’entreprise sont beaucoup moins considérés comme important par les personnes dirigeantes elles-mêmes. À l’opposé, d’autres rôles comme experte du marché ou garante de l’avenir sont importants, malgré leur faible plébiscite. Le rôle de stratège semble être un rôle de base pour la personne dirigeante.
La personne dirigeante n’est pas seulement habillée des rôles proposés par l’enquête. 32 % des sondé.e.s ajoutent d’autres rôles essentiels. Il en ressort qu’être une personne dirigeante, c’est aussi une attitude. Elle doit travailler ses qualités relationnelles et son exemplarité. Une personne dirigeante est bien évidemment un·e chef·fe. Elle prend ses responsabilités, elle s’engage et est garante des choix moraux. Finalement, la polyvalence de la personne dirigeante se retrouve dans ses compétences support primordiales.
L’importance du leadership et sa difficulté d’acquisition font de cette compétence un rôle vital pour la personne dirigeante. Ce rôle s’appuie sur la cohérence de tous les autres rôles et symbolise probablement le mieux le métier de dirigeant·e. Pour accomplir ce rôle, les personnes dirigeantes utilisent la décision stratégique. Elles en sont les architectes.
Matrice de fréquence (abscisses) et d’importance (ordonnées) des rôles de la personne dirigeante. Les rôles de leader et de visionnaires ressortent.
La situation technique et financière de l’entreprise, les tendances du futur, la connaissance du marché ainsi que les forces et faiblesses par rapport à la concurrence influencent les décisions stratégiques de plus de 60 % des personnes dirigeantes. Ces critères se trouvent sur la droite de la matrice fréquence/importance ci-dessous. À l’opposé, le critère des “conseils des cabinets en stratégie” est plébiscité par seulement 4% des personnes dirigeantes. De manière générale, les personnes dirigeantes se disent moins influencées par les conseils extérieurs dans leurs décisions. Les variations démographiques montrent que la fréquence des critères dans une prise de décision pour les personnes dirigeantes varient peu en fonction du profil. Le logiciel de décision majoritaire est donc celui des personnes très diplômées quelle que soit la taille de l’entreprise.
Figure 5.2.3.1 : Matrice de fréquence et d’importance des critères pour la prise de décision des personnes dirigeantes selon les personnes dirigeantes. Les graduations vont théoriquement des rangs 1 à 4. Cependant, les positions moyennes étant plus centrées, les graduations vont de -3 à 3 pour l’axe des ordonnées et de -2 à 2 pour l’axe des abscisses.
Les quatre critères — La situation de l'entreprise (technique et financière), Les tendances du futur (prospective), Ma connaissance du marché, Mes forces et faiblesses par rapport à la concurrence — constituent un cocktail récurrent. Cette observation consolide l’importance de l’effet cocktail des critères dans une prise de décision. Ainsi, la valeur du critère de décision dépend aussi d'autres critères qui sont sélectionnés par cette même personne dirigeante.
La majorité des éléments de ce cocktail se retrouvent aussi dans le classement d’importance des critères dans la décision. L’ordre d’importance des critères est :
Ces deux premiers critères concernent la connaissance de la situation interne au projet, que ce soit sur la proposition de valeur ou la réalité du terrain.
Dans l’ère de l’information de masse, la qualité de l’information pèse moins souvent dans les décisions, mais de manière plus importante (classement en troisième position) que les tendances du futur et les forces et faiblesses par rapport à la concurrence. La qualité de l’information est un précurseur au cocktail de critère principal. C’est un enjeu montant.
En même temps, la position de ce critère corrobore la crise de confiance qu’il y a dans l’information fournie par les cabinets de conseil en stratégie pour les personnes dirigeantes ; celles-ci les sanctionnent dans cette enquête.
Dans le but de prendre des décisions stratégiques, les personnes dirigeantes recherchent des informations de qualité, donnée par le réseau, la veille (mais pas par les cabinets de conseil en stratégie) pour alimenter leur connaissance de la situation interne de l’entreprise et comprendre sa position vis-à-vis de la concurrence et des futurs possibles.
L’introduction d’autres critères pourrait sous-entendre une complexification nette de la prise de décision. Pourtant, la fracture n’est pas aussi nette. L’introduction des critères d’impact social, d’impact carbone, d’équité des genres et de résilience ne rendent pas la décision plus compliquée pour 30% des personnes dirigeantes. Retenez tout de même que pour 57% des personnes dirigeantes, ces critères complexifient la prise de décision. Cette tendance ne varie pas en fonction des profils.
Les critères de résultat et financier, bien compris et bien connu, vont rester aussi important qu’ils le sont aujourd’hui. Même si le statu quo prévaut pour ces deux critères, les centres de gravité des deux opinions sont différents. La dynamique autour du critère financier penche vers un souhait de diminution de son importance. Tandis que la dynamique autour du critère de résultat penche vers une augmentation de son importance. Sur ces critères classiques, les personnes dirigeantes d’ETI et de grande entreprise sont plus conservatrices que l’opinion générale.
Les critères progressistes, comme l’impact social, l’impact carbone, l’équité de genres, et la résilience, sont majoritairement décrits comme devant prendre plus d’importance dans la décision. Pour l’équité des genres, c’est 52% des personnes dirigeantes qui plébiscitent une augmentation de l’importance de ce critère. Cependant, cette volonté fait face au mur du statu quo (41%). De manière plus unanime, la résilience, l’impact social et l’impact carbone sont cités comme devant devenir plus important dans la décision stratégique respectivement pour 62%, 74% et 81% des personnes dirigeantes. Les personnes dirigeantes ajoutent qu’aller au-delà du critère d’impact carbone est primordial. Les neuf limites planétaires doivent-être considérées. Il est intéressant de noter que l’opinion des dirigeantes par rapport à leurs homologues masculins est plus progressiste (+3% sur les critères d’impact). La culture d’entreprise pour le bien-être des salariés au travail est aussi un critère qui devrait prendre plus d’importance.
Quant aux solutions pour l’écologie, l’envie de faire évoluer les outils ne manque pas. L’opinion (43 à 58% des personnes dirigeantes) est très favorable à l’intégration de la comptabilité triple capital comme solution d’avenir pour tous les types d’entreprise. Néanmoins, des incompréhensions sur l’efficacité de la comptabilité triple capital par type d’entreprise remontent au travers des résultats de l’enquête. C’est probablement lié à une mauvaise compréhension des solutions nécessaires à la résolution du problème, dont les conséquences entrainent la disparition du vivant.
Accorder solutions, comme la comptabilité triple capital et action pour atteindre son objectif, est au cœur de la boucle OODA (Observer, s’Orienter, Décider, Agir) de John Boyds, stratégiste de l’Armée de l’Air américaine. Cette méthode distingue quatre étapes dans la prise de décision stratégique. Dans l’analyse de cette enquête, cela permet de catégoriser les sujets qui bloquent 50% (145 réponses) des personnes dirigeantes de l’échantillon dans leurs décisions.
40% des personnes dirigeantes qui partagent leurs points de blocages indiquent que l’acquisition de données via la veille, ou leur traitement pour les valoriser, les freine dans la décision stratégique. Ces freins appartiennent à la phase d’observation de la boucle OODA.
Dans la phase d’orientation, les freins viennent principalement du rapport au temps, des personnes dirigeantes et de l’organisation de la structure. C’est une question de culture d’entreprise qui les freine. Cette problématique est très bien documentée par Simon Wardley (entrepreneur et stratégiste) qui propose d’aligner progressivement sa culture d’entreprise sur les meilleures pratiques culturelles existantes. La culture d’entreprise reste un chantier très complexe dont les ressorts s’appuient sur le système de croyance individuel ou collectif. Faire évoluer celui-ci nécessite beaucoup d’énergie. Sans déplacer des montagnes, naviguer dans cette culture de manière consciente débloque déjà la prise de décision. La phase d’orientation du cycle de la stratégie adresse justement ce problème.
Outre les problèmes classiques de contexte financier, la flexibilité de l’organisation ainsi que la prise en compte amont des intérêts des parties prenantes pour décider du meilleur jeu stratégique à mener est un point bloquant dans la prise de décision.
Les personnes dirigeantes, pur produit du système, mais toutes engagées, sauront-elles s’outiller pour devenir les leadeuses d’un nouveau modèle ? —